courrier

Un courrier n’est pas une lettre, une lettre ne saurait être un courrier. D’ailleurs, à moins qu’on veuille désigner une personne — ce qui n’est plus très fréquent —, ou que le mot soit accompagné d’un adjectif qualificatif (« Elle reçoit un courrier très abondant »), on ne saurait parler d’un courrier. C’est du courrier qu’il faut dire :

« Y a-t-il du courrier pour moi ?

— Bien sûr que non, vous êtes bien trop chiant ! Qui voulez-vous qui vous écrive ? »

Renaud Camus, « lundi 16 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 46.

David Farreny, 20 mars 2002
littérature

De ce qu’il n’y a point de parallélisme entre le réel et le langage, les hommes ne prennent pas leur parti, et c’est ce refus, peut-être aussi vieux que le langage lui-même, qui produit, dans un affairement incessant, la littérature. On pourrait imaginer une histoire de la littérature, ou, pour mieux dire : des productions de langage, qui serait l’histoire des expédients verbaux, souvent très fous, dont les hommes ont usé pour réduire, apprivoiser, nier, ou au contraire assumer ce qui est toujours un délire, à savoir l’inadéquation fondamentale du langage et du réel.

Roland Barthes, Leçon, Seuil, p. 22.

David Farreny, 22 mars 2002
reliquats

Je ne suis pas très satisfait de cette lettre. Ce ne sont que les reliquats d’une très intense conversation secrète.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 105.

David Farreny, 23 mars 2002
intérêt

Quand la vérité n’a pas grand intérêt, le mensonge est légitime.

Philippe Jaenada, La grande à bouche molle, Julliard, p. 57.

David Farreny, 14 avr. 2002
chaînes

Pour la plupart, nous apprécions l’amour de nos semblables, au titre de reconnaissance nécessaire ou de divine surprise. Nous avons été élevés pour ça, d’une façon ou d’une autre, selon la voie du manque ou celle du trop-plein, peu importe, au bout du compte nous aimons être aimés, et nous aimons aimer, à tort et à travers et à nos dépens, mais enfin avec entêtement, avec récidive et avec préméditation. L’amour nous plaît, son bruit de chaînes et ses fruits de saison. Et tant mieux. Rien n’est plus désolant que de détester l’amour.

Marie Desplechin, Sans moi, L’Olivier, p. 10.

Élisabeth Mazeron, 3 sept. 2002
bonheur

Je retenais mon pas malgré la canicule. Les murs réverbéraient la chaleur qu’ils avaient absorbée depuis le début de la matinée. Le silence était celui, légèrement caverneux, chargé d’échos, des nécropoles. Il soulignait encore l’absence de la rumeur habituelle, comme les rues évacuées, les magasins fermés, les janissaires absentés. Peut-être est-ce alors que j’ai connu le bonheur le plus pur, s’il réside moins dans la possession d’une chose quelconque que dans la disparition de toutes celles qui traversent continuellement notre naturel penchant.

Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 53.

David Farreny, 7 mars 2004
nid

Je marchai donc droit sur ma brunette : sa tête allait juste à ma poitrine. Un épais nid de cheveux, dans lequel on pouvait cacher des diamants (ou des clés ! L’idée l’enthousiasma tout de suite !). La quarantaine : ça allait aussi. Nous nous sommes regardés pendant un certain temps.

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 72.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
possibilité

Il n’y a pas plus de droit à l’amour que de droit au bonheur. À peine a-t-on un droit à la recherche ou à l’attente de l’amour. Parce que l’amour n’est pas une conséquence inévitable de notre nature, seulement une possibilité, on peut concevoir des vies sans amour ou destituées de l’amour. On rencontre de telles vies, de tels personnages, dont le maintien et le débit de parole suggèrent que l’amour n’est pas venu leur donner la grâce des gestes et de la pensée. On peut devenir tel ou le rester. On dirait qu’une partie de leur corps et de leur âme est restée brute, ne connaissant des relations entre humains, par lesquelles les comportements se polissent et s’adoucissent, que l’affrontement, l’agression, ou le maintien à distance.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 18.

Cécile Carret, 13 mars 2011

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